Les entreprises soucieuses de leur seule rentabilité sont regardées de travers par les jeunes générations préoccupées par les inégalités sociales et le réchauffement climatique. La réforme de l’objet social de l’entreprise répondra-t-elle à leurs attentes ?
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Fini le profit à tout prix ? A la demande du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, l’ex-responsable de la CFDT, Nicole Notat, et le patron de Michelin, Jean-Dominique Senard, ont établi, dans le cadre de la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), un rapport qui redéfinit le rôle de l’entreprise.
Le texte intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » et remis le 9 mars à Bercy préconise ni plus ni moins que de réécrire le code civil pour pousser les sociétés à intégrer des enjeux sociaux et environnementaux dans la définition de leur objet social. Quelques entreprises pionnières avaient déjà pris les devants en inscrivant cette nouvelle mission dans leurs statuts. Un atout pour recruter de jeunes talents soucieux d’avoir un impact sur la société.
Selon Blanche Segrestin, professeure à l’Ecole des mines-ParisTech, « jusqu’à présent, seul l’intérêt des actionnaires était protégé par le code civil. Or, la responsabilité des dirigeants n’est pas uniquement de maximiser leur profit. Cette exigence de rentabilité immédiate se répercute sur la capacité des entreprises d’investir sur le long terme et les fragilise ». Au-delà de leurs ambitions économiques, les conseils d’administration et de surveillance devront formuler la raison d’être de l’entreprise, soit le fil conducteur des activités, et préciser les sujets sur lesquels ils veulent s’investir.
Retrouver la confiance
Le rapport offre la possibilité aux plus vertueuses d’entre elles de devenir des entreprises à mission, comme il en fleurit déjà aux Etats-Unis, à condition d’inscrire cette raison d’être dans leurs statuts, de l’avoir fait voter par les deux tiers des actionnaires, de se doter d’un comité des parties prenantes (ONG, salariés, clients, fournisseurs…) et de faire attester par un tiers le respect des engagements.
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« Modifier les statuts est plus contraignant que les politiques RSE[responsabilité sociale des entreprises], que les dirigeants ne peuvent pas sécuriser dans la durée. Les futurs actionnaires ont la liberté de fixer de nouvelles orientations en passant outre ces objectifs. En inscrivant la mission dans l’ADN de l’entreprise, celle-ci devient difficile à détricoter », explique Virginie Seghers, présidente de Prophil, cabinet de conseil spécialisé en philanthropie.
En novembre 2017, Emery Jacquillat, PDG de la Camif, est devenu l’un des pionniers des entreprises à objet social étendu : « Graver notre mission sociétale dans nos statuts nous a permis d’obtenir l’engagement des actionnaires. Sans cela, il aurait été difficile de prendre certaines décisions, comme celle de fermer le site le jour du Black Friday. Les actionnaires auraient pu me traîner en justice, car elle allait à l’encontre de leurs intérêts. »
Etre utile dans le métier
Concrètement, le distributeur de meubles et d’appareils électroménagers doit fournir des produits au « bénéfice de l’homme et de la planète ». Il s’engage aussi à « mobiliser consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, acteurs du territoire », afin d’« inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». L’objectif : retrouver la confiance des clients, des fournisseurs et des salariés, veiller à l’impact des activités sur l’environnement, redonner du sens au projet de l’entreprise.
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Sur le terrain, les chefs de produit sont priés de donner la priorité aux fournisseurs locaux et de s’attarder sur les conditions de fabrication. Aux côtés des autres parties prenantes, un collaborateur participe, quant à lui, à l’organe de gouvernance maison, la cellule Ose. Son rôle : s’assurer que les actions conduites par l’entreprise vont dans le sens de sa raison d’être et tirer la sonnette d’alarme le cas échéant. « Au-delà d’inscrire une mission dans les statuts, celle-ci doit être insufflée dans les activités quotidiennes des collaborateurs. Les jeunes diplômés se méfient des effets d’annonces. Ils veulent se sentir utile dans leur métier », observe Manuelle Malot, directrice carrières et prospectives à l’Edhec.
Après avoir travaillé trois ans à Hongkong pour un fabricant de compléments alimentaires, Hugo Deluchey a ainsi renoncé à un salaire attractif pour accepter le poste de responsable projet marketing chez Nutriset, entreprise à mission qui lutte contre la malnutrition : « Des sociétés m’ont proposé des offres alléchantes, mais ce qui me stimule le matin est de savoir que mes huit heures de travail vont contribuer à améliorer le quotidien d’autres personnes et auront un impact positif sur le monde. »
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Pour les nouvelles générations, une carrière réussie ne se résume pas à une position hiérarchique et à une rémunération avantageuse. Elles veulent du sens au travail. Selon le baromètre Ipsos-BCG-CGE, 72 % considèrent qu’être en phase avec les valeurs de l’entreprise est un critère primordial pour choisir leur prochain emploi. « L’entreprise à mission répond aux aspirations des jeunes diplômés. Même s’ils acceptent les règles du jeu du marché, ils ne sont pas prêts à transiger. Si l’entreprise ne respecte pas son engagement sociétal, ils n’hésitent pas à démissionner, quitte à laisser de l’argent sur la table », prévient Jean-Michel Caye, directeur associé du Boston Consulting Group.