Un statut juridique pour les entreprises à mission ? … Ouvrons le débat

La contribution de l’entreprise à la société est en sujet de débat inépuisable, actuellement relancé par le Plan pour la croissance et […]
15 décembre 2017

La contribution de l’entreprise à la société est en sujet de débat inépuisable, actuellement relancé par le Plan pour la croissance et la transformation de l’entreprise dont la première phase de consultation vient de s’achever. En France, des voix s’élèvent pour modifier la rédaction de l’article 1833 du code civil. Par Geneviève Ferone-Creuzet, Co-fondatrice et associée de Prophil.

Que nous dit l’article 1833 ?

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».

La formulation est en effet lapidaire. Seuls les associés sont mentionnés, la place des autres parties prenantes dans la création de la valeur n’est pas reconnue. L’entreprise n’est pas donc clairement définie en droit, notamment au regard des enjeux colossaux de transformation de la société.

Si un toilettage de l’article 1833 serait certainement utile, il n’épuise en rien le sujet. En effet, donner dans la loi une substance à l’intérêt social est un préalable, mais attention à ne pas énumérer, au-delà de l’intérêt commun des associés, une multiplicité d’intérêts : ceux des salariés, des sous-traitants, etc, sans mentionner des règles d’invocabilité de ces intérêts (qui peut agir ?), ni des critères de hiérarchisation entre eux. L’enjeu est de taille puisqu’on imagine que les décisions des juges pourront s’appuyer sur cette nouvelle rédaction pour trouver des bases légales aux multiples engagements de l’entreprise dans le développement durable.

Au-delà d’une modification éventuelle de cet article, serait-il alors pertinent de créer un nouveau statut hybride d’entreprise à mission ? Dans ses statuts, et au-delà de la production de biens ou des services, une telle entreprise définirait un objet social élargi à des sujets sociétaux au sens large, et intégrerait ses différentes parties prenantes au processus de création et de distribution de richesses. Sans renoncer à la performance économique, ni au marché, ni à la lucrativité, elle définirait ainsi de nouvelles règles de gouvernance qui réinventent la démocratie en entreprise.

En France, la chaire de l’école des Mines, « Théorie de l’entreprise », partenaire de la dernière étude Prophil sur Les entreprises à mission, avance le projet de SOSE, Société à Objet Social Etendu. D’autres pays, ont également légiféré en particulier les Etats-Unis, avec trois grands types de statuts qui ont tous en commun l’articulation du profit et d’une mission relevant du bien commun, assortis de différents référentiels d’évaluation. Le cas américain est singulier car il permet de desserrer la contrainte de la responsabilité fiduciaire qui oblige les administrateurs d’une entreprise à prendre des décisions uniquement dans le sens de la maximisation de l’intérêt de l’actionnaire. C’est ainsi que des entreprises engagées et performantes, créées par des personnes au service du bien commun, ont été démantelées suite à une transmission, une augmentation de capital ou une introduction en bourse, faute de pouvoir opposer en droit la protection de leur mission vis-à-vis des tiers.

Une situation française bien différente

Il n’existe pas dans notre cadre légal l’équivalent de responsabilités fiduciaires, même si la maximisation du profit reste la principale motivation des acteurs économiques et financiers. Par ailleurs, l’Etat régit directement un très large pan de services relevant de l’intérêt général. Enfin, la vitalité et le succès des acteurs de l’économie sociale et solidaire, sous toutes leurs formes, représentent une alternative crédible au modèle capitaliste.

Avons-nous donc besoin en France d’un statut ad hoc dédié aux « entreprises à mission » ? Il est indispensable d’aller plus loin que les engagements philanthropiques et les politiques de responsabilité sociale (RSE), dépourvus de toute forme d’opposabilité, fragiles dans le long terme et qui mobilisent peu les actionnaires. La France pourrait faire figure de pionnier sur la scène européenne en permettant une reconnaissance juridique aux entrepreneurs qui mettent leur performance financière au service d’une mission cohérente avec leurs valeurs. Le chemin est exigeant car le sujet soulève de nombreuses questions sur la propriété de l’entreprise, la gouvernance et l’opposabilité des décisions stratégiques vis-à-vis des différentes parties prenantes.

Il nécessite de poser la question aux principaux intéressés, les entrepreneurs, notamment ceux qui ne se reconnaissent plus dans la ligne Maginot qui sépare le secteur lucratif, trop souvent synonyme d’un capitalisme de prédation, et le secteur non lucratif, paré de toutes les vertus du désintéressement. Rappelons qu’aux Etats-Unis, ce sont les entrepreneurs et les actionnaires, et non pas la société civile et le législateur, qui ont milité un statut particulier pour se protéger des effets délétères d’un capitalisme de prédation.

Ouvrons ce débat pour répondre aux profondes aspirations et attentes des entrepreneurs français engagés dans la marche du monde, et faisons leur confiance.

Partager l'article :