Pourquoi il faut des fondations actionnaires en Europe

Trente ans après la chute du mur de Berlin, le projet européen est toujours en mal d’identité. Pour preuve, la nomination d’un […]
17 janvier 2020

Trente ans après la chute du mur de Berlin, le projet européen est toujours en mal d’identité. Pour preuve, la nomination d’un commissariat chargé de la « protection du mode de vie européen » fait débat et met en lumière le besoin diffus des Européens de faire corps autour de valeurs communes. Parmi celles-ci se trouve le souhait d’encourager un capitalisme plus inclusif et responsable, conciliant performance durable et externalités positives. Cette ambition est aujourd’hui à la portée de l’Europe si elle favorise
l’émergence de nouveaux modèles économiques vertueux et des évolutions en matière de gouvernance.

Or, s’il existe un type d’entreprise dont la gouvernance mérite d’être repensée, c’est bien celui des entreprises familiales. Aujourd’hui, six entreprises européennes sur dix sont des sociétés familiales et une sur trois devra mettre la clé sous la porte pour n’avoir pas réussi à assurer correctement sa succession. Résultats : 150 000 entreprises sont menacées en Europe chaque année.

Face à ce constat, les fondations actionnaires apparaissent comme l’une des réponses les plus efficaces. Ces fondations, qui détiennent tout ou partie des titres de sociétés commerciales, offrent une alternative innovante à de nombreux entrepreneurs. Conjuguant mission économique et action philanthropique, la fondation actionnaire ouvre une brèche dans le capitalisme actionnarial traditionnel. Le profit devient un moyen au service du déploiement d’un projet plus grand : l’entreprise en tant qu’objet collectif.

Les « actionnaires philanthropiques » questionnent en profondeur la notion de propriété de l’entreprise et, par là même, posent les bases
d’un capitalisme responsable de long terme, capable de dépasser la fameuse impasse théorisée par Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre. Ce dernier appelle en effet depuis 2015 à « briser la tragédie des horizons », c’est-à-dire à construire un pont entre les intérêts financiers de court terme et ceux à long terme,
aujourd’hui contradictoires.

Nombreux sont les fleurons industriels nord-européens ayant choisi ce modèle de transmission et de propriété. Novo Nordisk, Bosch,
Bertelsmann, Carlsberg, Rolex et Pierre Fabre en sont les exemples les plus emblématiques. On compte aujourd’hui 1 350 entreprises
détenues par des fondations au Danemark (68 % de la capitalisation boursière), 1 500 en Suède, 120 en Suisse, 1 500 en Allemagne et déjà une vingtaine en France.

Par ailleurs, le modèle de la fondation actionnaire est actuellement repris et réinventé par de jeunes entrepreneurs qui veulent avoir un impact social et environnemental positif. On peut citer le moteur de recherche Ecosia ou encore les start-up sociales françaises Gojob et
Simplon. Transmettant une part minoritaire du capital, voire une golden share [permettant de conserver un droit de veto sur le capital, ndlr] à une structure philanthropique garante des intérêts
de l’entreprise, ces entrepreneurs font le choix de construire une alternative à la course effrénée à la croissance dont le coût humain et écologique a trop longtemps été sous-évalué.

Ces modèles minoritaires peuvent, et doivent, devenir la norme, d’autant plus dans un monde où la concurrence ne se joue plus sur le terrain des technologies mais bien sur celui de la contribution à
un avenir désirable pour les futures générations.

La France, dans la continuité du Royaume-Uni et de l’Italie, s’est saisie du sujet du rôle sociétal et de la propriété de l’entreprise à travers les débats de la loi Pacte. Portons désormais cette volonté au plan européen en appelant collectivement à la mise en place de mécanismes juridiques et financiers nécessaires à la pérennisation et à la démultiplication des initiatives entrepreneuriales prometteuses, dont les fondations actionnaires nous semblent le modèle le plus abouti.

Nous invitons donc les commissaires et députés européens à s’emparer au plus vite du sujet pour encourager le développement des fondations actionnaires en Europe. Il est urgent que les fondations actionnaires cessent d’être perçues comme une terra incognita méconnue des économistes, des actionnaires, des dirigeants et de leurs conseillers. Elles représentent un enjeu considérable de compétitivité pour nos entreprises et s’inscrivent
parfaitement dans l’esprit du Green New Deal. Encourageons les fondations actionnaires, qui réconcilient entreprises et bien commun,
et ouvrent une troisième voie que les citoyens européens appellent de leurs voeux.

Signataires :
Communauté De Facto (Dynamique européenne en
faveur des fondations actionnaires).
Jean-Pascal Archimbaud (Groupe Archimbaud) ; Frédéric
Bardeau (Simplon) ; Manuel Brunet (Arcadie et
Bio Perennis) ; Xavier Delsol (Delsol Avocats) ; André
Dupon (Groupe Vitamine T) ; Claude Gruffat (Bio
Perennis) ; Charles Kloboukoff (Léa Nature) ; Antoine
Krier (Abondances) ; Jean-Pierre Letartre (Entreprises
& Cités) ; Pascal Lorne (Gojob.com) ; Marie Mayoud
(Digital Parenting Foundation) ; Alexis Nollet (Ulterïa) ;
Bruno Peyroles (Bureau Vallée) ; Cyrille Vu (SeaBird) ;
Prophil et ses correspondants européens : Virginie
Seghers – Geneviève Ferone Creuzet ; Allemagne :
Armin Steuernagel, Purpose Network ; Danemark :
Pierre-Yves Jullien, CCI Franco-Danoise ; Suisse :
Delphine Bottge – Bottge et Associés.

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