LE CERCLE/HUMEUR – La responsabilité sociale de l’entreprise reste intrinsèquement fragile et discrétionnaire. Les Etats-Unis, l’Italie ou le Royaume-Uni ont déjà introduit de nouveaux statuts.
Le 5 mai dernier, au terme d’une campagne électorale éprouvante, notre nouveau président, Emmanuel Macron, a consacré son tout dernier déplacement à Albi, patrie de Jaurès. Devant les salariés d’une verrerie, ancienne coopérative ouvrière, il a déclaré : « dégager des profits, c’est aussi avoir une responsabilité sociale et environnementale ». Il est effectivement temps de réconcilier, et non plus d’opposer, performance économique et responsabilité, en allant au-delà d’un concept de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) trop cosmétique.
Selon les termes de l’économiste américain Richard Freeman en 1984, au-delà de l’intérêt unique des actionnaires, il serait opportun de prendre en compte l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, collaborateurs, clients, fournisseurs. La lecture de tous ces magnifiques rapports de développement durable et de RSE, publiés chaque année par les entreprises, prête à croire que nous vivons dans le meilleur des mondes du travail possible, monde dans lequel une attention permanente serait portée à la redistribution des richesses produites, au bien-être et la préservation de la planète. Force est de constater que nous en sommes encore loin. Pourquoi un tel hiatus ?
Une absence de tout fondement juridique
Au fil des ans, la plasticité du capitalisme a parfaitement assimilé les codes de la RSE pour mieux la vider de sa substance et la maintenir en marge des fonctions régaliennes et de l’outil de production, loin des conseils d’administration où sont discutés les mécanismes profonds de création et de partage de la valeur. La RSE reste donc intrinsèquement fragile et discrétionnaire, car elle repose sur l’engagement et les valeurs de celui ou celle qui possède l’entreprise ou agit en son nom.
Ainsi dépourvue de tout fondement juridique, comment une politique de RSE, même fortement incarnée et appropriée, pourrait-elle résister à un changement de culture actionnariale et managériale ? Quelle partie prenante, et à quel titre, pourrait-elle ainsi exiger le respect des engagements souscrits au nom de la RSE ?
Rappelons tout d’abord qu’en France, l’entreprise n’est pas définie en droit sans aucune référence à la communauté de parties prenantes qui l’anime. La caractérisation d’une mission d’entreprise conjuguant rentabilité économique et contribution au bien commun, inscrite dans les statuts et opposable par des tiers, pourrait régénérer en profondeur la notion de responsabilité et les modes de gouvernance en offrant une protection juridique à des moments clés de la vie d’une entreprise, tels que l’introduction en Bourse, l’arrivée de nouveaux actionnaires et la transmission.
S’inspirer des exemples étrangers
Des pays tels que les Etats-Unis, le Royaume Uni ou encore l’Italie ont introduit de nouveaux statuts pour ces entreprises à mission. Ces différents statuts se recoupent sur certains grands principes : la définition d’une mission ou d’un objectif social et/ou environnemental au-delà de l’objectif de profit ; l’engagement des associés de protéger cette mission (« mission lock ») et la mise en place d’un mécanisme de contrôle de la mission librement choisi.
En France, malgré un droit des sociétés peu adapté à ces forces de transformation, certaines entreprises élargissent leur objet social et redéfinissent leur processus de gouvernance, en partie inspirées par les travaux de recherche académiques de Mines ParisTech. Le chemin est ouvert, plutôt dans les entreprises familiales que dans celles cotées en Bourse, qui souffrent d’un actionnariat fragmenté et volatil.
Dans une planète sous pression soumise à la tentation de la dérégulation, quelle part prendront les entreprises à la marche du monde ? Quels seront les nouveaux leviers de création et de partage de la connaissance, du travail et du capital ? Ces entreprises à mission renouvellent le contrat entre les actionnaires et réconcilient le capitalisme avec le bien commun ; une troisième voie qui promeut une vision moderne de rôle de l’entreprise dans la société.
Geneviève Ferone Creuzet est associée fondatrice du cabinet Prophil.