C’est une assemblée générale un peu particulière qui s’est tenue lundi 4 février au théâtre du Gymnase, à Paris. Mirliton y est devenue la première entreprise cotée française à se transformer en entreprise à mission, grâce au vote positif de 84% de ses 673 actionnaires. Un exercice théâtral pour montrer « l’énorme responsabilité » des actionnaires à l’heure où la loi Pacte, examinée au Sénat, doit offrir cette possibilité.
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Il est 19h, à Paris. Une foule se presse devant un grand théâtre de la capitale mais c’est un spectacle un peu particulier qui s’y déroule ce soir. On y joue l’assemblée générale d’une entreprise fictive, qui a décidé de se transformer en entreprise à mission. Une possibilité qui devrait être offerte avec la loi Pacte, actuellement examinée en première lecture au Sénat.
L’objectif du cabinet Prophil, de la société de gestion Sycomore et du media Usbek & Rica, à l’origine de l’initiative : montrer, en situation, l’importance du rôle des actionnaires, qui sont amenés, dans le cas où une entreprise voudrait suivre cette voie, à valider la démarche par deux tiers des voix.
Le kit pour les actionnaires d’un soir : une brochure sur l’histoire de Mirliton, les résolutions du jour et un boîtier pour voter.
Acte I : Une entreprise cotée au service du bien commun
Depuis ses débuts en 1952, la société Mirliton, connue pour ses petits pots pour bébés et ses soupes aux légumes, a bien grandi. Cette société, restée familiale, est cotée en bourse depuis 2002, affiche deux milliards d’euros de chiffre d’affaires et compte plus de 11 000 collaborateurs dans le monde.
Mais cette croissance n’a pour elle de sens que si elle contribue « au mieux manger », dans le respect de l’environnement et des hommes et femmes de son écosystème. Depuis quelques années, son directeur a donc engagé son entreprise dans la voie d’une transformation durable, en favorisant les circuits-courts, l’intégration d’invendus des supermarchés dans une nouvelle gamme de soupes, ainsi que le lancement de produits à base d’insectes.
Le directeur général de Mirliton explique le nouvel axe de développement basé sur des gammes insectes ou utilisant des invendus de supermarchés.
Acte II : la transformation en entreprise à mission
Les chiffres annoncés lors de l’assemblée générale ont de quoi satisfaire les actionnaires présents, de même que les objectifs de croissance. Mais l’entreprise veut aller plus loin et leur demande de valider son changement de statut, en entreprise à mission. Le conseil d’administration a déjà adopté la raison d’être élaborée pendant neuf mois avec les collaborateurs de la boîte : « Donner le goût de la biodiversité alimentaire, dans le respect des limites de la planète ».
Un groupe d’actionnaires, engagés dans l’investissement responsable va même plus loin. Il a déposé une résolution demandant aux actionnaires de voter pour que la mission de Mirliton prenne forme à travers trois engagements statutaires. Il s’agit de soumettre les grandes décisions d’investissement à l’accord du comité d’évaluation de la mission, de soutenir l’écosystème des producteurs à travers des relations de long terme et d’opérer un partage équitable de la valeur.
Le programme est ambitieux mais pas au goût de Redstone, actionnaire de Mirliton, qui se fend de tweets rageurs pendant la séance. Ce fonds activiste craint que le changement de statut ne fasse perdre de la valeur à l’entreprise. En quelques minutes, le cours de bourse de Mirliton plonge de 5 %.
Pendant la séances, des tweets du fonds activiste Redstone démontent la stratégie présentée par l’entreprise familiale.
Acte III : les petits actionnaires ont la parole
Si les réseaux sociaux s’agitent, l’assemblée semble rester confiante. La directrice juridique l’affirme : ce choix, c’est celui de près de plus de 5 000 entreprises dans le monde et les risques juridiques d’une attaque de l’entreprise sur le choix d’un équilibre entre profit et bien commun sont minimes. Aucune jurisprudence n’est connue à ce jour. Le comité d’évaluation de la mission, qui travaille dans l’ombre depuis des mois et qui doit être officialisé par le vote des actionnaires pendant cette séance, est aussi là pour rassurer sur la pertinence du choix de Mirliton. « Ce qui serait criminel, ce serait de ne pas changer de modèle », assure l’un de ses membres.
C’est au tour des actionnaires de prendre la parole. Certains salariés sont inquiets. « Comment va-t-on impliquer les salariés ? Et comment va-t-on définir la croissance de l’entreprise si celle-ci n’est plus uniquement tournée vers le profit ? », s’inquiète l’un d’entre eux venu d’Allemagne. D’autres proposent d’aller plus loin et de « caper » (plafonner) l’écart de rémunération des dirigeants à 20 fois la rémunération médiane des salariés. Une actionnaire, engagée depuis 10 ans auprès de Mirliton, s’inquiète d’une baisse de ses dividendes qu’elle réinvestit habituellement dans des startups…
Lors de la séance de questions, les actionnaires veulent tout savoir des conséquences du changement de statut.
Epilogue : des actionnaires conquis
Les questions s’enchaînent et les réponses de Mirliton tout autant. L’entreprise sait trouver les mots et convainc les 673 actionnaires présents, un public déjà acquis à la cause. Avec leurs boîtiers, ils votent à près de 85 % la résolution sur la modification des statuts, à près de 80 % celle de l’officialisation du comité d’évaluation et à 75 % les propositions des investisseurs responsables. Ça y est Mirliton est officiellement consacrée première entreprise cotée française à mission. Et cela plaît aux investisseurs : son cours de bourse a grimpé de 8 %.
Dans la vraie vie, une seule entreprise cotée au monde, Laureate Education, a franchi le pas, sous le statut de Public benefit corporation aux États-Unis. En France, Danone, qui a sans doute inspiré le cas Mirliton, regarde de près cette possibilité, via une première étape de labellisation B Corp.
Convaincus, les 673 actionnaires votent l’ensemble des résolutions à une écrasante majorité.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
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