Sous les drapeaux européens, l’arrière-plan historique et idéologique diverge de celui rencontré outre-atlantique. Ce travail de mise en perspective proposé par Prophil représente un intérêt non négligeable. Il contribue à renouer avec la compréhension d’une économie héritière de traditions, et non plus seulement résultat de vastes mécaniques techniciennes.
Une tradition entre société civile et interventionnisme étatique
« L’économie n’est pas une science exacte » aurait pris plaisir à rappeler Raymond Barre. Quoiqu’il en soit, l’Europe est depuis le XIXe siècle un terrain fertile à l’engagement des entreprises pour le bien commun. Premières coopératives, paternalisme historique, sociétés de bienfaisances, prémices de l’économie sociale… autant d’éléments qui préfigurent la possibilité de nos entreprises à missions contemporaines. Toutefois, à l’aube du XXe siècle, l’État acquiert un nouvel rôle central et devient garant de l’intérêt général. Paradoxalement alors, si le continent européen semblait plus propice à voir émerger des modèles d’entreprises hybrides, la prééminence des pouvoirs publics ont freiné l’élan potentiel. Peinant à confier au privé des objectifs de solidarité, ils se sont imposés comme de véritables régulateurs tout au long du siècle dernier. L’infléchissement débute dans les années 1980, lorsque l’économie sociale solidaire (ESS) acquiert davantage d’autonomie. S’en suit le développement de dispositifs qui nous sont familiers : coopérations entre entreprises et acteurs de l’ESS à travers le mécénat, valorisation des politiques de RSE, apparition de nouveaux statuts dans le droit européen.
L’Union Européenne s’inspire des États-Unis
Il faut pour autant attendre jusqu’à très récemment pour que le débat relatif aux entreprises à mission surgisse. En 2014, le label B-Corp s’exporte des États-Unis vers l’Europe. 250 sociétés sont certifiées aujourd’hui par ce dernier. Néanmoins, il s’agit bien d’un label et non encore d’un véritable statut d’entreprise. Si Prophil souligne en parallèle le rôle pionnier du Royaume-Uni dans l’entrepreneuriat social, puisqu’il établit dès 2005 les Community Interest Company (CIC) et par la suite le statut de mission-led companies, le pays qui s’illustre particulièrement dans la recherche de statut hybride est l’Italie. Inspiré du modèle américain, en 2015 est voté la création des Società Benefit. Focus sur cette filiation, qui permet d’appréhender l’intérêt d’un panorama international.
L’Italie : premier visionnaire européen ?
Les modèles de Società Benefit sont revendiqués comme des entreprises à but lucratif et à objectifs sociaux. Une conjugaison étonnante lorsqu’elle est affirmée avec autant d’assurance mais qui semble faire ses preuves. Ce statut hybride adopté en Italie est également soumis à l’obligation de réaliser des mesures d’impact pour concrétiser ses engagements. Comparativement aux États-Unis, deux différences essentielles : la Società Benefit exige de nombreuses précisions quant aux buts d’intérêt général poursuivis et cherche à affirmer une réelle indépendance vis-à-vis des actionnaires. Une réalité d’autant plus vive lorsqu’on lit le témoignage des dirigeants de D-Orbit, spécialisée dans…l’enlèvement des débris spatiaux et comptant parmi les 100 start-up les plus prometteuses du monde. La jeune structure soulève des enjeux insoupçonnés en s’attaquant à l’espace mais fait figure de visionnaire tant ce travail d’enlèvement des débris spatiaux est essentiel pour permettre la recherche scientifique et la préservation de l’environnement. L’entreprise à l’italienne semble donc définitivement porteuse d’avenir et invite à considérer le réel potentiel pouvant s’exprimer à travers ces nouveaux statuts hybrides.