Tribune écrite par Virginie Seghers, Les Echos du19 juillet 2021.
Deux ans après la loi Pacte, 180 entreprises déjà sont devenues sociétés à mission. On peut s’en réjouir, car cette transformation statutaire, votée en assemblée générale extraordinaire, donne un rôle politique à l’entreprise en inscrivant une « raison d’être » dans ses statuts, déclinée en objectifs sociétaux, évalués chaque année. La mission engage donc l’actionnaire légalement. Mais elle ne le transforme pas, car elle ne touche ni au modèle de propriété, ni profondément à la gouvernance, et ne résout en rien les questions de transmission. C’est là qu’un autre modèle intervient, plus radical que la société à mission, et parfaitement compatible : celui de la fondation actionnaire.
La Compagnie des équipements techniques et industriels pour l’habitat (CETIH) l’a compris en devenant le 1er juillet 2021 la première société à mission française, détenue principalement par une fondation actionnaire. Yann Rolland, qui a développé pendant vingt-cinq ans cette ETI, vient de se déposséder, en accord avec sa famille, d’une part significative de son capital en le donnant à un fonds de dotation qui devient le premier actionnaire de l’entreprise, aux côtés des salariés et du management, et de fonds d’investissement à impact. Sans renoncer à la performance économique, cette fondation est garante d’un actionnariat stable et de long terme, protectrice des valeurs et donc de la mission.
Loin d’être une vue de l’esprit, ce modèle de fondation actionnaire, encore assez méconnu en France, est particulièrement répandu chez nos voisins nord européens. Bosch (Allemagne), Rolex (Suisse), Carlsberg ou Velux (Danemark) appartiennent à des fondations. Au Danemark, près de 68 % de la capitalisation boursière est le fait d’entreprises qui appartiennent majoritairement à des fondations : inimaginable pour notre CAC 40 ! On compte ainsi 1 300 fondations actionnaires au Danemark, plus de 1 000 en Suède et en Allemagne, plus d’une centaine en Suisse…
On compte aujourd’hui en France une vingtaine de fondations ou structures assimilées actionnaires d’entreprises, pionnières du modèle (Pierre Fabre, La Montagne, Avril…) et plusieurs entreprises de la filière bio, dont la majorité se sont fédérées dans la communauté De Facto, pilotée par Prophil. Leurs fondateurs ont fait le choix de se déposséder d’une partie, souvent significative, de leur capital et de la donner, en général de manière irrévocable, à une fondation. Cette dépossession s’exerce dans le cadre du droit des successions. La fondation, qui n’appartient à personne et ne peut donc être rachetée, protège l’entreprise et exerce alors une mission philanthropique, financée surtout par les dividendes, et un rôle d’actionnaire.
Si les deux modèles peuvent vivre séparément, la fondation actionnaire commence à intéresser ceux qui évoluent en société à mission et réciproquement : comme actionnaire d’intérêt général, la fondation sanctuarise une partie du capital et « sublime » la qualité de société à mission. Au CETIH, trois fonds d’investissement représentent 32 % du capital, et la fondation 35 %. Cette alliance fertile, au service de l’entreprise et de sa mission, est inédite en France. Elle nous invite à dépasser les apparentes contradictions d’intérêts, de temporalité, de rentabilité et de gouvernance des uns et des autres, et à revoir nos représentations traditionnelles des fondations, qui peuvent jouer un rôle économique aux côtés des investisseurs.
Certains fonds d’investissement révolutionnent d’ailleurs les codes de la finance : le fonds 2050, fondé par Marie Ekeland, appartient depuis quelques jours à 99,99 % à un fonds de pérennité, une forme récente de fondation actionnaire. Du jamais-vu ! Les fondations actionnaires et les sociétés à mission ouvrent indéniablement la voie d’une convergence, nouvelle en France, entre capitalisme et altruisme. Leur alliance est un modèle d’avenir.
Virginie Seghers