Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont deux mois pour rendre leurs conclusions sur la reconnaissance du rôle social des sociétés.
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Le chantier est vaste, le calendrier serré. Missionnés par le gouvernement pour repenser la place de l’entreprise dans la société, Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, désormais présidente de Vigeo Eiris, et Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, ont moins de deux mois pour rendre leur copie. Des conclusions attendues en haut lieu : pas moins de quatre ministres étaient présents, vendredi 5 janvier, aux côtés des partenaires sociaux, pour le lancement des travaux.
« Il nous faut aujourd’hui faire évoluer le droit pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de formaliser voire amplifier leur contribution à l’intérêt général », a expliqué la ministre du travail, Muriel Pénicaud, dans la salle toute en dorures et moulures vert pâle, où ont été signés les accords de Grenelle. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre de la future loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), dont une première mouture doit être présentée au printemps en conseil des ministres.
Son objectif sera double, a rappelé Bruno Le Maire : « Faire grandir les entreprises françaises » et « mieux associer les salariés aux résultats ». A terme, « 100 % d’entre eux devront être couverts par des accords de participation et d’intéressement », a insisté le ministre de l’économie. Mais avant cela, il faudra trancher sur une question plus théorique, mais tout aussi épineuse : celle de l’« objet social » des entreprises.
« Il s’agit de faire évoluer notre droit avec audace, mais aussi avec un esprit de responsabilité »
Le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, avait soulevé un vent de panique dans les milieux patronaux en évoquant, début décembre 2017, une modification du code civil. En l’état, ce dernier stipule que toute société doit « être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Autrement dit, des actionnaires. « L’objet social de l’entreprise ne peut plus être le simple profit, sans considération aucune pour les femmes et les hommes qui y travaillent, sans regard sur les dégâts environnementaux », avait martelé l’ancien animateur télé.
« L’épanouissement de l’être humain »
« Faire cette modification, c’est mettre en difficulté l’ensemble des entreprises françaises, avait rétorqué, ulcéré, Pierre Gattaz, le président du Medef. C’est les rendre dépendantes face à des activistes environnementaux, tout comme elles sont aujourd’hui parfois perturbées par des activistes financiers. (…) Ce serait absurde, contre-productif et dangereux pour notre économie. » Bref, « une mauvaise idée au mauvais moment ».
La colère du patron des patrons a, semble-t-il, été entendue. Si Nicolas Hulot a répété, vendredi, que, selon lui, « le but ultime de l’entreprise doit bien être l’épanouissement humain », gouvernement et partenaires sociaux s’acheminent plutôt vers un dispositif qui laisserait le choix aux intéressés. Notamment par le biais de la création d’un nouveau statut de « société à objectif social étendu ».
Cette formule, portée par le cabinet Prophil et plusieurs chercheurs de l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris, permettrait d’inscrire dans la loi l’existence d’entreprises à missions. Un modèle dont s’inspirent déjà les « public-benefit corporations » américaines, qui intègrent dans leurs statuts une mission sociale, scientifique ou environnementale, qui dépasse la simple maximisation du profit et la priorité absolue accordée aux actionnaires. Souvent montré en exemple, Emmanuel Faber, le PDG de Danone, a récemment organisé sous cette forme sa filiale DanoneWave, qui rassemble 90 % des activités du groupe aux Etats-Unis.
Décision consensuelle
« Il s’agit de faire évoluer notre droit avec audace, mais aussi avec un esprit de responsabilité », a souligné la garde des sceaux, Nicole Belloubet. « Il ne faut rien s’interdire », mais bien prendre en compte les« conséquences juridiques » de ces évolutions, a-t-elle ajouté. Une sortie appréciée par le secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, « rassuré » par le caractère non contraignant des pistes envisagées.
Si une décision consensuelle paraît donc envisageable à court terme sur la question de « l’objet social », rien n’est toutefois tranché sur l’évolution de la gouvernance dans les sociétés. La CFDT et la CFTC, qui défendent ardemment l’extension de la présence des salariés dans les conseils d’administrations, comme c’est le cas en Allemagne, ne sont pas certaines d’être entendus.
Un temps favori pour prendre la succession de Pierre Gattaz à la tête du Medef, mais écarté en raison de son âge, Jean-Dominique Senard se veut toutefois « optimiste ». « Tout ce qui pourra être fait pour approfondir les liens entre les Français et l‘entreprise sera bon pour le pays », a fait valoir le patron de Michelin. Pour Armand Hatchuel, professeur à l’Ecole des mines de Paris et coauteur de plusieurs ouvrages sur la refondation de l’entreprise, « le simple fait de discuter de ces sujets est déjà un événement historique ».
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