La RSE, sur le papier, c’est formidable. Ça pousse les entreprises à plus d’engagement, de transparence et de responsabilité. Dans les faits… Ça devient parfois un prétexte de com’ comme un autre. Et c’est plutôt rageant.
Geneviève Férone est l’une des figures de proue de la notation sociale et environnementale des entreprises. Passée par l’ONU et l’OCDE, elle a cofondé Prophil, un cabinet de conseil en stratégie dédié à la convergence des modèles philanthropiques et économiques.
Avec un tel parcours, on se dit que la RSE, elle y croit ! Et pourtant… Geneviève Férone trouve beaucoup à y redire.
Explications.
Qu’est-ce que vous reprochez à la RSE ?
Geneviève Férone : De n’être rien de plus que de l’eau tiède ! Ça ne change ni les modèles économiques, ni les modes de gouvernance, et ça suscite de la défiance. Le concept est formidable. C’est ce qu’on en a fait qui est déplorable. Les entreprises ont parfaitement compris les avantages qu’elles avaient à en tirer en termes de communication. Mais pour les opérationnels, c’est vécu comme un mal nécessaire sans leur apporter d’outils. Et pour ceux dont c’est le métier, ça n’est souvent qu’un moyen de comprimer les risques.
Est-ce qu’une bonne politique RSE… ce n’est pas, avant tout, une campagne d’image ?
G. F. : Ça ne devrait pas l’être… Mais c’est ce que c’est devenu, oui. Il n’y a qu’à voir le super rapport RSE de Monsanto, ça vous arracherait presque des larmes. Pour les marques, la création de valeur se situe dans une logique financière à court terme. La RSE n’a donc aucune chance d’être autre chose que de l’image, puisque ce sont les actionnaires et les dirigeants, guidés par l’aspect financier, qui peuvent faire changer les modèles et y intégrer de nouvelles dimensions. Résultat, on assiste à des petits combats quotidiens en réaction, mais pas à une vigilance permanente. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, et la RSE ne change pas les causes racines.
Quels sont les pires exemples qui montrent que la RSE, c’est du bullshit ?
G. F. : Tous les modèles qui sont axés sur les volumes, l’exploitation des ressources avec un marketing compulsif. Les entreprises peuvent faire tous les rapports du monde : si elles vendent des produits inutiles, c’est du vent. Elles vantent leurs formations internes, font certifier leur huile de palme ou garantissent qu’elles ne font pas travailler des enfants. Et elles en sont fières. Ce n’est pas parce que les entreprises sont des monstres de cynisme – il y a des gens qui se battent vraiment. Mais bien souvent, ils se heurtent à une inertie telle qu’ils ne peuvent rien changer. Par ailleurs, si vous vendez des boissons à base d’eau et de sucre ou de la pâte à tartiner, quelle est votre contribution pour la santé et la planète ? Certains préfèrent payer des lobbyistes pour semer de terribles petits doutes que d’agir. Ils détruisent le dernier tiers de confiance qui existe : la science. En demandant à des scientifiques d’être les vecteurs de leur image, de toiletter des études, ils font un mal terrible à la démocratie et tuent le dernier sanctuaire qu’incarnait la parole des scientifiques.
Est-ce que c’est un vrai critère de référence pour les consommateurs ?
G. F. : Pour tout ce qui touche à leur santé, oui. Pour le reste, non. La logique du bien commun est un peu lointaine : ce qui ne me touche pas ne m’impacte pas.
En France, est-ce qu’on est plutôt en avance ou en retard ?
G. F. : L’Europe est en avance. La France a beaucoup légiféré. Certains pays l’ont moins fait, je ne sais pas ce qui est mieux… Disons que nous sommes dans le peloton de tête de la « RSE-conformité ».
Pourquoi les labels ne sont-ils qu’un prétexte ?
G. F. : Les labels enrichissent surtout ceux qui les promeuvent. Certains sont utiles – comme celui de l’agriculture biologique – d’autres sont un peu plus… de niche. Alors que le combat devrait gagner en visibilité, on a tendance à multiplier les causes à défendre, on découpe, on juxtapose. Plus il y a de labels, plus il y a de défiance. Puis une Élise Lucet vient tout décortiquer… et sème plus encore le doute.
Est-ce que les États doivent s’en mêler ?
G. F. : Ils doivent donner un cadre, des règles. Mais c’est compliqué quand le mal est fait. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec le glyphosate. On laisse le choix : vous préférez des agriculteurs qui se suicident parce qu’ils n’arriveront pas à assumer, ou sacrifier la planète ? On est tout le temps dans ce genre de rapport de force mortifère. Si les États s’y étaient mis au moment de l’émergence des questions climatiques, on aurait pu faire une transition harmonieuse – comme en Suède, où une taxe carbone existe depuis les années 90. Aujourd’hui, l’État joue toujours la même rengaine de l’emploi contre le climat – alors que le climat est mère de toutes les batailles. C’est dramatique : quel modèle permet encore de laisser des mines ouvertes au nom de l’emploi ? Quel signal de renoncement est-ce que cela envoie ? Les politiques sont dans des échéances de temps encore plus courtes que les entreprises : les gouvernements sont soumis au rendement électoral de leurs décisions.
Comment aller plus loin ?
G. F. : La seule chose à faire, c’est de rendre la finance responsable en passant par le droit. On pourrait faire des procès à ceux qui continuent à financer des industries délétères. Faire peur en termes de rentabilité. Organiser des class actions envers les entreprises mortifères. Il faut attaquer la finance ! Le droit est un outil extra-gouvernemental très intéressant qu’on n’utilise pas assez. Si la finance bascule, on a une chance de s’en sortir. Sinon, les États ne pourront plus rien faire.
Cet article est un extrait de l’interview clash (« La RSE : on garde ou on jette ? ») parue dans la revue 19 de L’ADN. Pour vous en procurer un exemplaire, cliquez-ici.