Rodolphe Durand, professeur à HEC, et Geneviève Ferone Creuzet, du cabinet de conseil Prophil, préconisent dans une tribune au « Monde » des incitations fiscales pour orienter l’investissement vers les « modèles d’affaires vertueux »
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LE MONDE | | Par Rodolphe Durand (Professeur et directeur du Centre société et organisations à HEC Paris) et Geneviève Ferone Creuzet (Associée et cofondatrice de Prophil).
Tribune. La future loi sur le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) ouvrira des possibilités nouvelles aux entrepreneurs qui veulent construire des modèles d’affaires vertueux au service du bien commun. La question est de savoir si ce nouveau texte pourra aller au-delà pour viser un véritable changement d’échelle et permettre à la France de construire une économie compétitive, à impact positif et en phase avec les aspirations de nos concitoyens.
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La réforme des articles 1832 et 1833 du code civil, pour y inclure les intérêts des parties prenantes autres que ceux des actionnaires, enverrait un signal clair à la société et au marché. Pourtant, on le voit, ce sujet bouscule des postures et ravive des passions. La plus grande crainte est de voir se multiplier des risques de conflits juridiques autour de la gestion des entreprises.
Le code civil apparaît pour certains comme une vache sacrée à laquelle il ne faut pas toucher. Pour les tenants du statu quo, la priorité est d’éviter tout changement qui risquerait d’épouvanter les porteurs de capitaux. Pour autant, aussi symbolique qu’elle soit, l’inscription dans le code civil ne fera pas tout.
Favoriser un changement d’échelle
La création du statut juridique de « l’entreprise à mission », articulant lucrativité et contribution au bien commun, est incontestablement une voie à privilégier. Ces modèles hybrides existent dans plusieurs pays. Aux Etats-Unis, plus de deux mille « benefit corporations » et plus d’un millier de « public benefit corporations » (PBC) ont été enregistrées depuis 2010. De son côté, l’Italie a créé en 2016 les « società benefit ». A ce jour, ce statut inspiré des PBC américaines a convaincu 45 entreprises. Huit pays étudient actuellement une proposition de loi (Australie, Argentine, Chili, Colombie, Canada, Brésil, Pérou, Royaume-Uni). A noter que cette nouvelle voie est d’ailleurs une demande des entrepreneurs, et non une exigence portée par le législateur.
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Toutefois, il ne faut pas s’arrêter là si nous voulons non seulement encourager ces nouveaux modèles, mais favoriser un changement d’échelle pour construire un véritable avantage compétitif pour notre économie. De fait, une seule « public benefit corporation » est cotée aux Etats-Unis (Laureate Education), et la vaste majorité de ces sociétés sont de taille modeste. Comment faire pour que la prise en compte du bien commun ne soit pas le fait d’un nombre restreint d’entreprises militantes et engagées, mais un impératif qui se diffuse dans l’ensemble de notre tissu économique ?
Indépendamment de la modification du code civil, il faudrait alors adjoindre une politique volontariste d’orientation de l’investissement vers les entreprises qui ont un impact positif sur leur environnement du fait de leurs pratiques écologiques ou sociétales. Depuis la loi « Nouvelles responsabilités de l’entreprise » (NRE) de 2001, les entreprises françaises sont parmi les plus disertes sur leur impact non financier.
Des garanties de financement de l’Etat
L’Etat français pourrait ainsi accorder à toute entreprise opérant sur le territoire national l’accès à des garanties de financement pour des projets viables économiquement et à fort impact social et environnemental qui en auraient fait la démonstration.
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De la même manière, afin de garantir la présence d’un actionnariat stable au capital des entreprises résolument engagées sur la voie d’un capitalisme renouvelé, il pourrait être envisagé une réduction de la fiscalité sur les plus-values pour la détention longue d’actions d’entreprises dont l’impact social et environnemental positif aura été évalué et validé. Toute mesure qui peut inciter les entreprises à mieux mesurer leurs externalités positives, à les développer et à mieux les faire connaître aux parties prenantes (clients, collaborateurs, fournisseurs, investisseurs) est souhaitable.
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L’objectif majeur est de dynamiser le développement d’un capitalisme plus responsable, tant au niveau des actions locales portées par les entreprises à mission que celui des opérations globales à fort impact social, afin de faire sortir les politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE) du registre de la conformité pour les intégrer au cœur de modèles d’affaires avantageux pour tous.
Geneviève Ferone Creuzet a dirigé la publication de l’étude sur « Les entreprises à mission. Panorama international des statuts hybrides au service du bien commun » (Prophil, 2017).