Bruno Le Maire : « L’entreprise a aussi un rôle social et environnemental »

INTERVIEW – Le ministre de l’Economie détaille dans « Les Echos » le contenu du projet de loi modifiant l’objet social de l’entreprise et […]
10 avril 2018

INTERVIEW – Le ministre de l’Economie détaille dans « Les Echos » le contenu du projet de loi modifiant l’objet social de l’entreprise et revient sur les projets de privatisations du gouvernement.

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Comment la loi Pacte va-t-elle redéfinir l’objet social de l’entreprise ?

Nous avons suivi les recommandations de Jean-Dominique Senard et Nicole Notat qui ont fait un travail remarquable. L’objectif est de mettre en adéquation notre droit avec la réalité des entreprises en France et leur donner toute la place qui leur revient. L’entreprise ne se limite pas à la recherche du profit mais elle a aussi un rôle social et environnemental. Cette nouvelle place repose sur un élément clef : la raison d’être de l’entreprise. L’article 1833 du Code civil sera modifié en ce sens. Quant à l’article 1835, il précisera que les statuts de l’entreprise peuvent définir une raison d’être dont la société entend se doter pour décrire son activité. Ce ne sera pas une contrainte. Cette définition se déclinera dans le Code du commerce par une modification des articles concernant les compétences du conseil d’administration et du directoire (L. 225-35 et L. 225-64).

Qu’est-ce que cela change concrètement pour les entreprises ?

Réécrire le Code civil est un acte politique majeur. A travers ce texte, nous voulons être à la pointe de la redéfinition du capitalisme européen. Ce n’est pas le capitalisme chinois, qui est un capitalisme d’Etat et qui ne correspond pas à nos valeurs économiques, ce n’est pas le capitalisme anglo-saxon, qui est davantage court-termiste.

Le capitalisme européen doit s’inscrire au contraire dans le long terme. Il doit faire des enjeux environnementaux un atout pour sa croissance, il doit défendre la propriété intellectuelle, valoriser la finance verte. Plus largement, il doit aussi être responsable socialement, promouvoir une véritable égalité hommes-femmes, se soucier du développement de ses collaborateurs. Cette réécriture du Code civil s’inscrit dans notre volonté de faire du capitalisme européen un des modèles de développement économique de la planète.

Le Royaume-Uni a modifié il y a quelques années son « Companies Act » pour aller dans ce sens. Cela n’a pas vraiment changé le visage du capitalisme anglo-saxon…

Le choix anglo-saxon a été de proposer une catégorie d’entreprise nouvelle, un statut à part. Nous ouvrons une faculté à toutes les entreprises qui le souhaitent. En revanche, nous avons écarté l’idée de créer une nouvelle catégorie d’entreprise. Cela aurait enfermé une minorité d’entreprises dans une catégorie à part. Notre ambition est plus vaste. Par ailleurs, les entreprises y trouveront aussi leur intérêt. Si une entreprise demain veut être profitable, reconnue par nos concitoyens, la raison d’être va devenir un passage obligé, pour mobiliser les salariés, les fournisseurs, les clients, les actionnaires autour d’un objectif commun. Prenez l’exemple de Michelin : la vocation de Michelin ne se limite pas à fabriquer des pneumatiques. Sa raison d’être se trouve dans la mobilité durable.

Qu’avez-vous décidé sur la place des administrateurs salariés ?

Le principe d’une présence des administrateurs salariés au conseil sera d’abord universalisé. Les mutuelles et les holdings non familiales, qui en étaient aujourd’hui exemptées, devront se conformer à cette obligation. Nous allons aussi augmenter le nombre d’administrateurs salariés à deux pour les conseils de plus de huit membres.

Ce qui reste très en dessous des conseils d’administrations allemands…

La codétermination est une marque de fabrique de l’Allemagne et doit le rester. Nous ne sommes pas sur le même modèle même si nous devons mieux associer les salariés aux décisions de l’entreprise.

La présentation du texte en Conseil des ministres a été plusieurs fois reculée. Pourquoi ?

Cela nous permet de poursuivre le dialogue. Ce qui compte, c’est l’examen au Parlement. Le plus tôt sera le mieux. Le sens de cette loi est d’accélérer la dynamique économique qui nous a permis d’avoir 2 % de croissance en 2017, 250.000 emplois créés dans le secteur privé et un chômage qui a reflué. La loi Pacte est à ce titre un levier essentiel.

Vous avez commencé votre mandat avec une nationalisation partielle des Chantiers de l’Atlantique, et vous prônez désormais un vaste plan de privatisations. Quelle est votre doctrine de l’Etat actionnaire entre ces deux extrêmes ?

Il n’y a pas deux extrêmes, ne confondons pas tout. Pour STX, la nationalisation temporaire était une manière de revenir à un meilleur équilibre entre STX et Fincantieri. C’est ce que nous avons obtenu. Le véritable enjeu est de redéfinir la place respective de l’entreprise et de l’Etat dans la société française. Concernant l’Etat, à force de lui demander de tout faire, il se retrouve en situation d’empêchement dans certains domaines, incapable de répondre aux attentes qui lui sont assignées. Je préfère un Etat efficace là où il est indispensable plutôt qu’une extension sans fin de son champ d’action.

A quoi doit alors se limiter son action ?

L’Etat doit répondre à mes yeux à trois défis. Le premier est de garantir le bon fonctionnement des services publics. Nous sommes un pays avec de grands services publics, nous avons vocation à le rester. Pour cela, nous devons engager les transformations nécessaires. La SNCF en est le meilleur exemple.

Le deuxième défi pour l’Etat est de garder le contrôle de certaines activités essentielles à la souveraineté nationale. Je pense à l’énergie nucléaire et à toutes les activités liées à la Défense. Enfin, le troisième défi est de faire respecter l’ordre public économique.

Il n’y a donc plus de place pour l’Etat actionnaire dans les entreprises du secteur concurrentiel ?

Pour défendre les intérêts des consommateurs et les droits de nos concitoyens, faut-il une présence de l’Etat au capital des entreprises du secteur concurrentiel ou le renforcement de la régulation ? La régulation est une des voies les plus efficaces pour permettre à l’Etat de jouer son rôle dans l’économie. Prenons l’exemple de  la FDJ . Le secteur des jeux ne représente pas un enjeu de souveraineté pour l’Etat et sa présence au capital n’est pas le seul moyen de limiter l’addiction au jeu. On peut donc envisager de céder une partie de notre participation – qui ne nous rapporte que 86 millions d’euros de dividendes par an – tout en renforçant la régulation. En tout état de cause, l’Etat conserverait les plus de 3 milliards d’euros de recettes fiscales actuelles.

L’aspect stratégique de l’activité d’ADP, qui représente la première frontière aux portes de Paris, ne justifierait-il pas qu’on laisse cette entreprise en dehors du plan de privatisations ?

Ne confondons pas tout. Les fonctions de police, de douane ou de navigation aériennes sont dans le champ de la souveraineté nationale. Elles sont donc du ressort de l’Etat.

Mais céder le contrôle d’ADP peut aussi être vu comme le transfert d’une rente à un acteur privé, comme cela s’est vu avec les autoroutes…

La ligne de partage est entre ceux qui estiment que l’Etat doit continuer à toucher des dividendes en immobilisant des milliards d’euros au capital d’entreprises dont ils ne contrôlent pas totalement les activités et ceux qui estiment que l’Etat doit réguler, se doter d’outils pour le faire au-delà de la détention du capital et investir dans l’avenir des Français.

Le contexte social peut-il retarder ce programme de privatisations ?

Je pense que notre nation a désormais intérêt à définir le champ d’action de l’Etat.

Le fonds pour l’innovation que vous avez créé est présenté comme une usine à gaz par l’opposition. Pourquoi ne pas financer l’innovation par les dividendes d’ADP, de la FDJ et des autres ?

Pour financer l’innovation de rupture, nous pouvons céder les participations dans des actifs qui ne répondent pas aux priorités de l’Etat. Sur l’innovation de rupture, que ce soit pour l’intelligence artificielle, le stockage des énergies renouvelables, les supercalculateurs, nous avons pris du retard et il est temps de les combler. Notre responsabilité est de garantir à toutes les générations qui viennent que la France et l’Europe garderont leur souveraineté technologique.

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