Aujourd’hui peu développées dans l’Hexagone, les entreprises à mission sont largement implantées aux Etats-Unis. Le cabinet Prophil,cabinet de conseil en stratégie dédié à la convergence des modèles philanthropiques et économiques, est allé à la rencontre de plusieurs entreprises outre-Atlantique. Geneviève Ferone, fondatrice et directrice du cabinet, et Anne-Lise Bance, responsable du pôle recherche, constatent que, comme le capitalisme y est plus dur qu’ailleurs, les entreprises réfléchissent davantage qu’ailleurs à lui donner un visage humain.
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Vous revenez d’un voyage d’exploration aux États-Unis aux pays des entreprises à mission. Qu’en retenez-vous ?
Anne-Lise Bance. D’abord l’engagement politique des entreprises à mission aux États-Unis. Quand elles ont un statut « Public Benefit Corporation », leur engagement est très fort, il est même militant. Cela s’est accentué avec l’élection de Donald Trump à la présidence du pays. Certaines entreprises ont ainsi été devant le Congrès pour défendre le salaire minimum. L’entreprise Patagonia va jusqu’à poursuivre en justice l’administration Trump pour une de ses mesures amenuisant la protection d’un monument national amérindiens, un lieu sacré et de connaissance sur l’évolution du climat. Cela est fait au nom de leur mission, qui est inscrite dans leurs statuts et qui engage leur stratégie.
Pourquoi aller chercher l’inspiration aux États-Unis, alors que la France est considérée comme leader sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ?
Geneviève Ferone. Les États-Unis est aujourd’hui le pays le plus avancé en matière d’innovations statutaires avec les « benefit corporations », les « public benefit corporations » (PBC) et les « social purpose corporations » (SPC). Cela n’est pas si étonnant, car, dans ce pays, l’entreprise s’engage pour la communauté à travers ce que l’on appelle le « charity » (philanthropie). En France en revanche, l’intérêt général est aux mains de l’Etat.
De façon surprenante, les États-Unis ont le plus réfléchi pour donner un visage humain au capitalisme. Peut-être parce qu’il y est particulièrement dur et parce que le devoir fiduciaire est particulièrement fort. C’est de cette réflexion que sont nées les entreprises à mission. En France, notre droit est l’un des plus profitable aux actionnaires. Et ce, alors que nous n’avons pas de culture actionnariale !
Au vu de ces différences, l’entreprise à mission américaine est-elle transposable en France ?
Geneviève Ferone. Je ne vois pas ce qui ne le serait pas. Les entreprises à mission françaises n’hésitent d’ailleurs pas à prendre des positions militantes. Je pense par exemple à la campagne de La Camif pour une TVA responsable ou à la fermeture de son site web lors du black Friday.
Anne-Lise Bance. Ce dont il faut avoir conscience, c’est le décalage entre les États-Unis et la France sur le socle de protection sociale et de la réglementation sur les thématiques RSE. Quand, aux Etats-Unis, donner un mois de congé maternité est considéré comme un engagement social fort voire un engagement politique, cela n’a évidemment pas de sens équivalent en France !
Le label B Corp, d’origine américaine, connaît un succès croissant dans l’Hexagone… Comment analysez-vous cet engouement ?
Geneviève Ferone. C’est un label qui permet de structurer sa politique RSE, de montrer sa sincérité en la matière, mais en aucun cas de piloter sa mission. L’un des points forts du label est de miser sur un phénomène de communauté. Selon moi, l’intérêt de ce label est beaucoup plus important pour les entreprises ayant une forte activité à l’étranger et notamment en Amérique du Nord. Aux États-Unis et au Mexique, où il est très connu, c’est un atout marketing et commercial auprès des consommateurs. En France en revanche, la multiplication des labels environnementaux et sociaux fait qu’aucun d’entre eux n’émerge vraiment.
Il pourrait finalement ne pas y avoir de statut spécifique pour les entreprises à mission dans la loi Pacte. Est-ce un risque ?
Geneviève Ferone. Non, je ne le pense pas car il s’agit de toute façon d’une démarche volontaire de l’entreprise, sous le contrôle de ses actionnaires. Les contours de l’entreprise à mission vont donc se dessiner par la soft law. Même sans statut particulier, des sociétés françaises sont devenues des entreprises à mission (comme La Camif ou Nutriset, NDLR). Et contrairement à ce que certains ont pu craindre, ses adeptes n’ont rien demandé en retour, comme des incitations fiscales qui auraient pu nécessiter un statut à part.
Propos recueillis par Béatrice Héraud @beatriceheraud